Par Fabien Lawson
L’éthique des affaires est aujourd’hui un ensemble de normes comportementales qui impose désormais la nécessité d’évaluer la performance économique, sociale et environnementale de l’entreprise au regard du principe essentiel qu’est le développement durable. Ce dernier concept est entendu comme un mode de production et de consommation qui permet aux générations présentes de satisfaire leurs besoins sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs.
En effet, le Forum économique mondial de Davos de 1999 avait déjà sonné le glas de la quête exclusive du profit et de la puissance économique par les entreprises et marqué une volonté toute nouvelle de responsabiliser les entreprises sur les plans financier, social et environnemental.
Un tel positionnement, caractérisé par la prise de conscience de l’impact des modes de productions et de consommation sur l’environnement et le bien-être des individus, appelait un engagement en faveur du développement durable. Il a conduit aux mutations actuelles des entreprises.
Ainsi, des entreprises affichent, de plus en plus, leur attachement au principe de développement durable en élaborant des codes de bonne conduite, des chartes éthiques ou des règles déontologiques. Au delà de sa seule valeur économique, la performance de l’entreprise se mesure aussi, désormais, au regard des valeurs d’humanité, sociales et environnementales.
Toutefois, il apparaît clairement que l’éthique des affaires est une norme opérationnelle dont la portée ne peut se mesurer que dans les résultats attendus du monde de l’entreprise. Elle ne doit pas demeurer une formule incantatoire à vocation publicitaire, mais doit sortir de ce rôle stratégique d’affichage d’image socialement acceptable et vendable pour réellement « s’incarner » dans les pratiques des entreprises.
Ce défi ne doit donc pas être un « simple enjeu de communication », mais doit trouver son sens dans un « enjeu d’humanité » qui responsabilise l’entreprise à l’égard des générations actuelles et futures. C’est en cela que l’éthique des affaires apparaît réellement comme une valeur essentielle qui fonde désormais la culture d’entreprise.
L’objectif étant de responsabiliser les entreprises, il importe de mettre l’accent sur l’approche juridique de l’éthique des affaires par laquelle le droit pénètre davantage la sphère entrepreneuriale. En effet, la moralisation de la vie des affaires, qui prend en compte les différentes parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, associés, partenaires, décideurs, gestionnaires, salariés, prestataires et consommateurs), tend désormais à couvrir différentes matières juridiques.
Elle couvre notamment des matières aussi diverses que les droits de l’Homme, les normes du travail, le droit de l’environnement, le droit de l’énergie ou le droit financier. À ce propos, les entreprises se trouvent de plus en plus confrontées à des problématiques de conformité aux règlementations nationales et internationales, de moralisation du commerce, d’investissements responsables, de transparence sur les risques, de transition énergétique, de lutte contre la corruption, etc., à l’avant-garde desquelles se trouvent des mouvements d’opinions.
À titre d’exemple, en matière d’investissement responsable, on observe un mouvement de désinvestissement des énergies fossiles par plus de 400 investisseurs institutionnels parmi lesquels des fonds éthiques (le Fonds Ehique et Partage en France par exemple), des fonds universitaires (Oxford, Université de Londres), des fondations (le Prince’s Foundation for building community, le Rockefeller Brothers fund), des fonds de pensions (le Fonds norvégien), des associations et des collectivités publiques.
Ces investisseurs institutionnels excluent les entreprises engagées dans les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) de leurs portefeuilles d’actifs, en raison de leur impact important sur le réchauffement climatique (80 % des émissions mondiales de CO2 et 67 % des émissions de gaz à effet de serre).
Il apparaît d’ailleurs que les entreprises minières qui ne répondent pas aux normes environnementales représentent un risque important pour les investisseurs et que les fonds investis dans ces entreprises sont de moins en moins rentables. Ainsi la performance financière d’une entreprise est dorénavant de plus en plus reliée à des éléments extra-financiers, notamment son impact social et environnemental.
Dès lors, le business as usual n’est plus de mise, en raison des problématiques de développement durable qui s’inscrivent et tendent à s’imposer dans la stratégie des entreprises et à conditionner leur performance et, par conséquent, celles des portefeuilles d’actifs.
Pour que l’éthique des affaires soit effective, il appartient donc aux praticiens du droit, qui jouent un rôle essentiel dans les rapports entre les différents acteurs de l’entreprise, d’accompagner celle-ci dans l’intégration de cette nouvelle culture en éclairant l’enjeu que celle-ci représente pour elle au regard, non seulement de la bonne conscience, mais surtout de la performance de l’entreprise.
A ce propos, une bonne gouvernance d’entreprise se mesure à une bonne maîtrise des risques qui permet d’atteindre les objectifs de performance souhaités. Par conséquent, les praticiens du droit doivent identifier, dans une double approche à la fois préventive et curative, les risques sectoriels liés aux activités de l’entreprise qu’ils accompagnent tout en privilégiant la démarche préventive.
Car la démarche curative, même si elle peut s’avérer nécessaire, peut impacter négativement les performances de l’entreprise. À ce propos, les amendes infligées en cas de manquements peuvent atteindre des sommes astronomiques, comme par exemple celles infligés par les autorités américaines pour fraude, corruption ou non respect des embargos économiques. À titre d’exemples, on peut citer l’amende record de 8,9 milliards de dollars (près de 8 milliards d’euros) infligée à la BNP PARIBAS le 1er mai 2015 pour non respect des embargos imposés par les États-Unis au Soudan, à l’Iran et à Cuba, ou encore celle moindre de près de 800 millions d’euros infligée à General Motors pour dissimulation de défaut mécanique.
Au-delà de la sanction financière, les entreprises s’exposent à un risque de réputation. À ce propos, on citera l’exemple de l’actualité du « scandale des émissions polluantes » relatif au supposé contournement de la législation américaine relative à l’émission de gaz polluants par le groupe Volkswagen.
Aussi, les praticiens du droit doivent-ils, dans leur rôle de conseil, faire en sorte que la culture de l’éthique des affaires se diffuse dans l’entreprise et imprègne réellement de tels rapports et que les normes comportementales qu’elle édicte soient effectivement perçues comme des outils de bonne gouvernance – de gestion, de management et de décision – dans l’entreprise.
Il s’agit d’un nouveau rôle de l’accompagnement juridique de l’entreprise qui consiste à sensibiliser, à faire partager et appliquer effectivement ces normes comportementales en son sein en faisant en sorte que la valeur ajoutée desdites normes, en tant que facteur d’excellence, soit bien comprise à tous les niveaux de l’entreprise, notamment par les décideurs qui doivent s’adapter aux contraintes réglementaires de plus en plus fortes.