Mais, des solutions peuvent être recherchées dans la conception même des politiques d’aménagement du territoire et de développement durable.
L’importante disponibilité des sources d’énergies renouvelables (ENR), leur expansion rapide grâce aux technologies de l’information et des communications (TIC) et le besoin considérable d’accès adéquat aux services énergétiques modernes (650 millions d’Africains n’y ont pas accès) révèlent l’énorme potentiel des affaires dans le secteur en Afrique. Néanmoins, des risques relatifs au climat des affaires sont évoqués par les investisseurs et traduisent leur besoin légitime de sécuriser leur investissement. Ceux le plus souvent évoqués sont l’instabilité politique et législative, ainsi qu’un certain nombre de faiblesses relatives au cadre de régulation du secteur de l’électricité, aux dispositifs réglementaires d’achat-vente d’électricité, aux institutions judiciaires et administratives, à la convertibilité des devises, aux garanties financières diverses, aux garanties d’exécution des contrats, aux mesures d’exonération fiscale, etc.
Toutefois, le management efficace de ces risques ne peut se concevoir que dans le cadre d’une politique globale adéquate d’aménagement du territoire et de développement durable. Celle-ci a pour vocation essentielle de protéger et de mettre en valeur les territoires de façon durable, tout en conciliant des objectifs économiques et d’intérêt général, notamment en ce qui concerne la sécurité foncière et la protection des terres agricoles qui sont souvent ignorées.
Assurer en amont la sécurité foncière
Dans les phases de développement et de construction des installations des ENR, la question foncière est centrale aux négociations. En effet, l’occupation à long terme des terrains par voie d’acquisition ou de location est un enjeu important dans ces projets d’envergure nécessitant d’importants investissements. Il convient alors d’avoir une bonne gestion des risques fonciers qui sont multiples et à l’égard desquels l’Etat doit jouer un rôle important.
Il en est par exemple ainsi des risques de contestation des procédures d’expropriation en vue de la réalisation des installations d’ENR. Malgré l’utilité publique de ces installations, il convient d’éviter les risques de contestation immédiate ou ultérieure, notamment en faisant en sorte que la procédure d’expropriation ne soit vécue comme une injustice par les populations locales (absence de concertation et d’indemnisation). Dès lors, l’implication effective des populations locales dans les projets d’ENR s’impose afin d’assurer une véritable justice sociale et d’éviter dans certains cas une destruction des installations réalisées à l’image des événements vécus, dans un autre contexte, par l’Ethiopie notamment avec la révolte des Oromo. Une telle implication est à même de favoriser un sentiment d’intérêt collectif dans la réalisation des infrastructures énergétiques, notamment lorsque celle-ci concourt au développement socio-économique des communautés. Aussi, un travail pédagogique destiné à la fois aux autorités publiques locales et aux populations doit accompagner le développement de ces projets.
Par ailleurs, il importe de s’assurer que les terrains acquis auprès des personnes privées sont exempts de tout litige. A ce propos, on notera que dans les pays d’Afrique subsaharienne, les litiges fonciers sont importants. Ils représentent, par exemple, quelque 80% des contentieux au Togo. Toutefois, à l’heure où la force créatrice des startups Tech africaines est saluée internationalement, le recours aux TIC pourrait être une opportunité à explorer pour la maîtrise de ce genre de risque. Par exemple, le recours à la technologie de la Blockchain (une base de données sécurisée et distribuée) qui favorise notamment la transparence, la traçabilité et la sécurisation des transactions, peut permettre aux Etats africains de cristalliser les transactions foncières. A ce propos, au Ghana notamment, l’ONG Bitland a mis en œuvre cette technologie pour répondre à de tels enjeux fonciers, notamment en zone rurale (90% des zones rurales en Afrique subsaharienne ne sont pas répertoriées). La réussite d’une telle solution suppose néanmoins au préalable une «purge» rapide (via des réformes) des nombreux litiges encore en cours, autrement dit, «décréter l’an zéro du foncier» dans les pays africains concernés. Cela doit se faire en concertation avec les autorités coutumières, d’autant plus que les régimes juridiques fonciers et domaniaux en Afrique subsaharienne allient souvent droit coutumier et droit moderne.
Cependant, la garantie de la sécurité foncière au profit des projets d’investissement en ENR doit nécessairement être conciliée avec d’autres objectifs d’intérêt général, tels que la protection des terres agricoles.
Protéger les terres agricoles
Encore confronté à des famines qui ne sont pas toujours liées à des conflits armés, le défi de l’alimentation est encore prégnant sur le continent africain, notamment face au boom démographique (1,2 milliard d’habitants en 2015 et peut-être 2,4 milliards en 2050). Selon les Nations-Unies, au Niger par exemple, plus de 1,3 million de personnes (soit 7% de la population totale) ont besoin d’une assistance alimentaire d’urgence dans les quatre prochains mois.
Dès lors, les politiques d’aménagement du territoire ne doivent pas reléguer au second plan les questions alimentaires stratégiques, malgré l’importance évidente des besoins des populations en ENR. La protection des terres agricoles doit donc en permanence être une composante majeure d’arbitrage dans les procédures administratives (permis, étude d’impact environnemental et social, enquête publique,…) relatives à la réalisation des projets ENR. Les mesures de protection envisagées doivent également prendre en compte le risque de voir les populations rurales brader leurs terres, face aux propositions financières alléchantes d’investisseurs. En cela, les Etats ont pleinement un rôle régulateur à jouer afin de garantir une utilisation durable et intégrée des sols.
Le développement des installations d’ENR en Afrique ne doit alors pas être envisagé uniquement sous l’angle capitalistique avec les retombées financières que cela pourrait représenter pour les investisseurs. Ces projets doivent également prendre en compte les préoccupations environnementales relatives à la pression exercée sur les terres agricoles. L’ignorance aussi bien par les investisseurs que par les Etats de ces considérations liées à la protection des terres agricoles constitue un risque pour la pérennité des investissements dans les projets réalisés. Enfin, plus qu’un risque d’ordre financier, privilégier l’occupation des sols pour des projets d’ENR au détriment de la protection des terres agricoles peut être une menace pour la sécurité alimentaire mondiale. L’Afrique subsaharienne présente un fort potentiel d’accroissement de l’offre alimentaire mondiale, car et comme l’avance le FMI, 40% de ses terres agricoles ne sont pas cultivées.